Des rites durent, d’autres surgissent !

Hanaa Khachaba Nevine Ahmed Dimanche 26 Mai 2019-13:40:55 Dossier
Des rites durent, d’autres surgissent !
Des rites durent, d’autres surgissent !

Par le passé, le Ramadan n’était pas tout simplement des préparatifs spéciaux pour l’avènement du mois béni. C’étaient plutôt des coutumes ancestrales propres à chaque population et à chaque région, que se partageaient les gens 30 jours durant. Quelques-unes ont perduré alors que d’autres ont disparu à cause de plusieurs facteurs et à leur tête la technologie.

 

Il est incontestable que le mois de Ramadan contient d’immenses mérites qui le distinguent des autres mois, raison pour laquelle il fait l’objet d’un intérêt particulier de la part des croyants et des croyantes qui attendent sa venue, se préparent à le recevoir et implorent Allah pour vivre jusqu’à cette période pour qu’Il les aide à accomplir les œuvres pieuses que sont le jeûne, la prière nocturne, l’aumône et la retraite spirituelle.

Ainsi se comportent les gens pieux depuis toujours. Ils se réjouissent de l’arrivée de ce mois béni et bon. Ils espèrent le vivre pour se rapprocher de leur Seigneur et bénéficier de la miséricorde et des dons d’Allah, implorent Son pardon, se repentent en demandant à leur Seigneur Généreux de les affranchir de l’Enfer au cours de ce mois illustre. En effet, le jeûne est une protection et un bouclier contre le feu de l’Enfer.

Beaucoup estiment que la technologie a contribué à élargir le fossé entre les générations passées et celles d’aujourd’hui. Si les réseaux sociaux ont largement contribué à réduire les distances et à renouer entre certaines personnes séparées à cause du voyage ou d’autres circonstances, ils ont parallèlement mené à la disparition de certaines coutumes.

M. Hazem Abdel Rahmane se rappelle des jours premiers du Ramadan, alors qu’il était encore jeune. Il raconte qu’il accompagnait son père et qu’ils devaient visiter ses oncles et tantes pour leur souhaiter les vœux de Ramadan et ils faisaient de même lors du Petit Baïram. Mais avec les réseaux sociaux et les cellulaires, tout s’accomplit par une touche sur un clavier, regrette-t-il. “On se rencontrait, on échangeait les nouvelles et on se rassemblait en familles, mais les textos ont à présent pris le relais”, dit-il sur un ton triste.

Une autre habitude que connaissent les habitants des villes côtières est le fait d’embaumer d’encens les verres et les tapis sur lesquelles ils font les prières. Ils embaument les verres au temps de l’aube, pour qu’ils gardent l’odeur jusqu’au temps de l’iftar. Mais cette habitude a disparu avec le temps. Tout comme le canon de l’iftar dont la voix annonçait le temps pour rompre le jeûne. Par le passé, les habitants des différentes villes entendaient la voix du canon ; mais à présent, c’est à la télévision ou à la radio qu’on diffuse une voix pareille à celle du canon pour dire aux jeûneurs que c’est le temps de l’iftar.

Les gens pieux, au cours du mois de Ramadan, font montre de sérieux, redoublent d’efforts dans la dévotion, vouent un culte exclusif à Allah, exalté soit-Il, et sont habités par la crainte que leur jeûne et leurs prières ne soient pas acceptés. Et lorsque le mois de Ramadan s’écoule, ils sont très tristes, on dirait qu’ils ont perdu un être cher qui leur permettait d’atteindre le rang des pieux.

Si l’on se penche sur les faits, on constatera que les gens, peu avant Ramadan, se retrouvent dans les marchés chargés de toutes sortes de mets, de quoi suffire pour des mois entiers et pas seulement un mois. Il y a de quoi s’étonner de ce fait, comme si les marchés s’apprêtaient à définitivement fermer leurs portes. Le mois de jeûne est devenu le mois où l’on rivalise d’ingéniosité dans la confection de plats rares, si bien que le Ramadan est devenu le mois de l’obésité et des indigestions. Nous sommes passés du mois de la prière de nuit, des pleurs par crainte révérencielle d’Allah à un mois où l’on passe la majeure partie de son temps devant la télévision et les vidéos, et où l’on perd son temps à faire la fête.

Dans quelques pays arabes on raconte aussi des coutumes que leurs habitants ont pris l’habitude suivre avec le Ramadan, mais qui ont disparu ou relativement changé avec le temps. A Damas en Syrie, on appelle cette habitude “al-takrisa ramadanesque”. Il s’agit d’un groupe d’amis et de parents qui se rassemblent et se rendent dans des restaurants, des cafés ou des jardins publics de la ville. Les femmes préparent des mets alléchants et les hommes jouent aux cartes. Ils font cette sortie la veille du Ramadan, en guise d’adieu aux sorties et aux divertissements, parce que le mois qui s’annonce sera consacré à la prière.

Depuis les temps immémoriaux, le mois de Ramadan est vécu en Egypte dans les mêmes traditions et dans la même ferveur, mais plutôt dans la forme que dans le fond. Le retour à l’essence de l’Islam qui est la piété, la générosité, le partage et l’altruisme caractérise les trente jours du mois béni. Même si la fougue de nos aïeux était d’une telle intensité que leurs vies semblaient graviter autour de la liturgie ramadanesque, aujourd’hui on peine de respecter les rituels du Ramadan : La prière du soir, les tables de charité, la convivialité partagée autour d’une même table. Depuis toujours, en Egypte, qui dit Ramadan, dit repas partagé et bonnes œuvres multipliées. Toutefois, les gens semblent osciller plus entre piété et plaisir, spiritualité et mondanité, tellement les tentations sont innombrables et leur tombent dessus de toutes parts, dans l’époque moderne.

Au-delà des pratiques spirituelles, les manifestations de joie et les décorations ramadanesques sont presque inchangées : le canon, le fanous, les guirlandes et les jolies khiyamiyahs. Qui ne connaît pas rue Al Moez du Caire fatimide ou le fameux Khan Al Khalili avec son souk chatoyant de toutes les couleurs. Entre le présent et le passé, c’est le même décor. Une décoration des plus superbes, donnant aux passants l’envie d’y rester pour une éternité.

Au passé comme au présent, à quelques jours du mois de jeûne, une activité intense règne au centre-ville. A travers tous les foyers, les femmes se rencontrent au cours de la soirée pour préparer les délices du Ramadan dites pâtisseries orientales comme la konafa, la biklawa ou la basboussa. Ces rituels se perpétuent de génération en génération dans un souci de garder les pratiques traditionnelles et les traditions ancestrales. Les enfants restent attachés à leur fanous du Ramadan.

Les grands restent fidèles aux rassemblements de famille autour d’une même table à l’heure de la rupture du jeûne. Les mosquées se parent de leurs plus beaux atours, encourageant les croyants à venir nombreux pour accomplir la prière.

Les manifestations de charité et de générosité sont nombreuses : banquets organisés pour donner à manger aux jeûneurs nécessiteux, des sacs de Ramadan remplis de denrées essentielles sont distribués dans les régions les plus défavorisées…etc.

Malgré cet attachement nostalgique aux rites du passé, il est des choses qui ont changé au fil du temps. Sous l’effet du modernisme, certaines pratiques ont certainement connu une transmutation. Dans les temps lointains, à coups de tambour, on annonçait l’arrivée du mois béni. Un convoi de quelques hommes à dos de dromadaire circulait dans les ruelles du Caire. Ceux-là se mettaient à battre leurs tambours pour célébrer le mois de jeûne. Aujourd’hui, des festivités solennelles sont organisées dans le pays et largement médiatisées.

Les appels à la prière retentissaient, à défaut de haut-parleurs, par la voix vive du muezzin. Celui-ci gravissait la tour la plus élevée de la mosquée du quartier (le minaret) et appelait au plus fort de sa voix, faisant venir les fidèles des quatre coins du quartier.

Les lanternes (fanous du Ramadan) de jadis étaient fabriquées soient en verre soit en cuivre, tandis que celles de nos jours connaissent une si grande variété qu’elles répondent au goût d’une clientèle séduite par le concurrent chinois aux mélodies et aux couleurs multiples.

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